Luis Bonilla-Molina

Luis Bonilla-Molina

Introduction

Nous vivons une charnière pour le maintien des acquis sociaux en général et d’une manière particulière du droit à l’éducation. A cet égard, et comme nous l’avons souligné dans d’autres textes, pendant la quarantaine due à la pandémie de covid-19, le droit à l’éducation a subi une attaque brutale, dû au fait que  de nombreux États nationaux n’ont pas garanti les conditions minimales pour développer le processus d’enseignement apprentissage. Les autorités éducatives sont muettes sur la néo-privatisation survenue lors de la fermeture des écoles pour cause de quarantaine préventive, vu  que les gouvernements, dans le meilleur style de modèle de société éducative néolibérale,  ont transféré leurs responsabilités aux familles, aux élèves et aux enseignants, ces derniers devant assumer à leur compte  les frais d’accès à internet, l’achat de matériel de connexion, le paiement des plateformes, l’appropriation de la production de contenus numériques et gestion virtuelle. Nous insistons là-dessus, car cette situation risque de se pérenniser au retour en présentiel et au-delà de la post-pandémie, sur la base d’un modèle éducatif qui préconise  présentielle + virtuelle.

Avec une dose de cynisme sui generis, les autorités éducatives commencent à exprimer leur inquiétude face à l’abandon scolaire des garçons, des filles, des adolescents et des étudiants de l’enseignement universitaire. Ce ne sont pas les élèves qui ont quitté les écoles, lycées et universités, mais ce sont plutôt les États qui les ont abandonnés à leur sort pendant la pandémie ; sans matériel informatique et sans internet,  ils ont été poussés à la périphérie des systèmes scolaires !!!

Le blocus  dans le débat sur la question et l’action réflexe de l’autruche qui a caractérisé les secteurs de la pensée alternative et la profession enseignante elle-même, semble être dû aux problèmes de compréhension de l’orientation stratégique en matière éducative du capital, dans la transition entre la troisième et la quatrième révolution industrielle et son impact sur l’agenda des systèmes scolaires. Le tourbillon de changements et le virage à 180 degrés provoquent désorientation et vertige sous le poids des routines et des performances scolaires que nous avons connues au siècle dernier. Ce blocus  trouve son origine dans le fossé épistémique.

Qu’est-ce que  le fossé épistémique ?

Le fossé épistémique n’est rien d’autre que l’incompréhension de la distance existante entre ce que nous faisons et ce que la société et le mode de production demandent. Elle s’exprime dans des possibilités limitées de prendre une conscience critique de cette situation, un phénomène dérivé de paradigmes, d’archétypes, de routines, de récits et d’imaginaires qui correspondent à un autre moment historique, au passé.

Le fossé épistémique est plus dangereux que le fossé technologique, car le second se corrige avec l’achat d’équipements et de technologies, tandis que le premier demande des processus d’apprentissage et des raisonnements logiques qui permettent de s’approprier les caractéristiques du changement. Sortir de l’impasse nécessite une didactique contextualisée du changement incessant, typique d’une proposition pédagogique émancipatrice, libératrice contextualisée au XXIe siècle.

Dans la mesure où la distance entre ce qui se passe et notre compréhension du phénomène est plus grande, la tendance défensive est de nier le fait et sa permanence. Attribuer le statut de preuve fortuite et irremplaçable. Par exemple, de nombreux enseignants considèrent la virtualité comme un phénomène temporaire de quarantaine pandémique et hésitent à y voir une dynamique qui se maintiendra dans le temps avec différents degrés d’application.

Le fossé épistémique génère un énorme chaos cognitif, car les enseignants montrent de nombreux signes de changement dans une situation historique telle que la situation actuelle et se sentent dépourvus des outils théoriques et expérientiels pour faire face, comprendre et agir dans le nouveau.

En n’ayant pas les clés pour comprendre le nouveau, vous risquez de forger un esprit conservateur, qui refuse de s’ouvrir à l’apprentissage du changement ou, pire encore, vous risquez de croire qu’il suffit de ne pas en parler alors que la nouvelle réalité se dissipe.

Le fossé épistémique individuel devrait être résolu avec l’aide des institutions éducatives, mais le fossé épistémique actuel a des dimensions organisationnelles, c’est-à-dire qu’il englobe les ministères de l’Éducation et une partie importante des universités et des centres permanents de formation des enseignants.

Le fossé épistémique est bien plus profond que les crises paradigmatiques décrites par Khun (1922-1996), car dans ce cas, il implique de repenser le monde dans son ensemble et dans la « communauté éducative », produit de la « dépédagogialisation », des curricula des pédagogies et de  la pragmatique néolibérale, il n’y a pas de corps théorique, ontologique et de croyance partagé encore moins  de consensus concernant l’application de la théorie et des modèles de résolution de problèmes.

Les gouvernements néolibéraux, habitués à obéir sans trop réfléchir, semblent ne pas comprendre l’orientation stratégique du capital et ses exigences éducatives et, chaque administration mène une réforme éducative nationale à coups de pinceau de ce que dit l’OCDE, la BM ou l’UNESCO, qui loin de résoudre les problèmes qui les génèrent finissent par rendre les systèmes éducatifs encore plus anarchiques.

L’appel au niveau « local » des réformes éducatives n’est pas nécessairement le résultat d’un bilan du développement inégal et conjugué du capitalisme qui impose des rôles différenciés aux territoires, mais plutôt une tâche de changer certaines choses pour donner le sentiment de faire quelque chose et faire preuve de loyauté envers le centre capitaliste. Cependant, ces réformes éducatives en tant que patchs qui s’attaquent aux symptômes et non aux problèmes, finissent par être des initiatives sans téléologie en raison du fossé épistémique. Le paradigme de la bureaucratie éducative, de la subordination des systèmes éducatifs au mode de production capitaliste, ne suffit pas pour comprendre la transition de l’éducation entre la troisième et la quatrième révolution industrielle. Le fossé épistémique rend les bureaucraties éducatives dysfonctionnelles pour le fonctionnement du système mondial capitaliste.

La structure du cadre éducatif  est celle d’une machine newtonienne ; c’est pour cela que nait  l’illusion selon laquelle le changement de paradigme est une question de réformes (parties, pièces de la machine) des programmes scolaires, didactiques, évaluatives, ou de création de nouveaux départements (parties complémentaires). C’est une castration épistémologique qui empêche de penser – et beaucoup moins  mettre en application – l’organisation, les carrières et les dynamiques internes d’une manière radicalement différente des routines et protocoles existants. Cette limitation à penser le nouveau dans ses expressions organisationnelles concrètes est souvent interprétée comme dépassée. Mais les tentatives de mise à jour se font en abordant le cadre institutionnel comme s’il s’agissait d’une machine et les propositions de changement finissent par être des ajustements ou la substitution des pièces rouillées. Les récentes vagues de réformes éducatives et universitaires n’ont été que cela, avec des résultats décevants qui finissent par favoriser l’immobilité éducative et un esprit pédagogique conservateur.

La résistance au changement dérivée du fossé épistémique est la preuve de sérieuses limitations pour comprendre l’horizon, qui, pour couronner le tout, est en mouvement permanent. La réponse réflexe résultant du fossé épistémique est similaire à la solution cognitive qui se produit face à la fragmentation de la vitre avant de la voiture qui nous fait finir par voir la réalité à travers le rétroviseur.

Le fossé épistémique a des dimensions territoriales. Le fossé épistémique au centre du système mondial capitaliste n’est pas le même que dans ses périphéries. Les citoyens du centre capitaliste ont plus de grandes possibilités de voir les manifestations concrètes de l’horizon du fossé épistémique, là où les habitants de la périphérie capitaliste n’observent que des brumes diffuses. Pour un habitant de Munich, Amsterdam ou Paris, la virtualité est plus proche d’un quotidien où l’internet est accessible, l’électrification stable, l’accès au matériel informatique est relativement facile, où les jeux vidéo font partie du paysage, tandis qu’à Ocosingo (Mexique), Rubio (Venezuela) ou Carcasí (Colombie), son approche la plus répandue passe par le contenu des films et des journaux télévisés en raison des limitations de connectivité et d’équipement.

Autrement dit le fossé épistémique a des expressions différenciées selon le développement inégal et combiné du capitalisme, cependant, selon nous l’avons appris avec Wallerstein (1930-2019), le système mondial ne laisse pas un territoire inhabité de sa dynamique. Autrement dit, l’accélération de l’innovation et la quatrième révolution industrielle atteindront à court et moyen terme tous les coins de la planète, soit en modifiant votre réalité, soit en vous excluant.

Quelque chose de semblable se passe dans les pays en ce qui concerne la ville et la campagne, les métropoles et les territoires ancestraux. En Amérique latine, le secteur urbain concentre le plus grand nombre de possibilités d’accès aux services tandis que dans le monde rural la précarité devient signe d’identité. Ce n’est pas la même chose de parler du monde numérique dans les capitales que dans les campagnes. La proximité et les possibilités de compréhension des nouveaux phénomènes de communication, d’éducation, de consommation, de participation et de sociabilité sont plus grandes dans les centres urbains que dans les communautés rurales. Cela peut générer la fausse perception que le nouveau n’est pas typique du domaine, mais qu’il s’agit d’un enjeu de ville.

Le fossé épistémique peut générer l’espoir imaginaire que si de la périphérie capitaliste nous devenons des huîtres enfermées dans la coquille, nous deviendrons imperméables à la logique du marché dans la quatrième révolution industrielle. Mais la réalité est que l’huître survit car elle protège «la sienne» à l’intérieur de la coquille, mais ne perd pas contact avec la réalité extérieure. Un faux comportement ostréicole consiste à opposer savoirs ancestraux et développement scientifique et technologique, alors qu’il s’agit de construire une dialectique territoriale qui permette d’établir les bénéfices et les limites de l’un et de l’autre.

Le fossé épistémique est destiné à être présenter comme un problème générationnel. C’est une sorte de fuite en avant couverte de récits pleins d’espoir, fondés sur l’hypothèse que les plus jeunes trouveront les réponses qui sont insaisissables pour ceux qui sont nés avant les années 90 du vingtième siècle. Des théoriciens comme Prensky avec leurs idées sur les natifs numériques et les migrants numériques alimentent cette illusion qui sédimente le fossé épistémique. Comme nous l’avons souligné, il ne s’agit pas d’une question d’âge, mais d’une lecture freirienne de la réalité fondée sur la spécification de l’impact sur le mode de production capitaliste, des plis et rebondissements qu’imposent les révolutions industrielles et comment ces plis marquent un nouvel agenda éducatif. . Si les vieux et les jeunes ne parviennent pas à comprendre l’impact des troisième et quatrième révolutions industrielles sur le système mondial capitaliste et ce que cela implique pour l’éducation et les systèmes scolaires, le fossé épistémique demeure.

Le fossé épistémique a une expression concrète dans le domaine populaire, dérivé de la compréhension précaire de la relation dialectique entre l’utilisation de technologies alternatives et l’accélération de l’innovation scientifique et technologique. L’alternative n’est pas étrangère à l’impact de l’accélération exponentielle de l’innovation dans ses imaginaires, ses récits et ses usages. Les technologies alternatives ne sont pas un pétroglyphe dans un musée, mais elles maintiennent plutôt une interaction symbolique entre le passé et le présent, la tradition et l’innovation. L’immobilité des technologies alternatives, le refus d’interagir avec le nouveau sans céder à son horizon paradigmatique, le fait de ne pas penser de manière critique la nouveauté, en valorisant ses relations avec la réalité et les contextes, met en évidence le fossé épistémique. Peut-être que la vitesse inhabituelle de l’émergence, le volume croissant d’expressions  radicalement nouveau, y contribuent.

Le fossé épistémique facilite l’activité minière numérique et l’extractivisme des identités humaines. Au cours des deux dernières années, nous avons vu la pénétration inhabituelle des appareils mobiles non seulement dans les communautés urbaines, mais aussi rurales. L’utilisation naïve de ces équipements facilite l’extraction d’informations personnelles et l’exploration de données. La perspective d’avatars dans le monde virtuel se construit à partir de ce minage, un processus qui menace l’identité des populations qui abordent la technologie avec un fossé épistémique.

Le fossé épistémique est structurellement plus consolidé chez les hommes que chez les femmes, en raison du rôle reproductif du patriarcat dans la société capitaliste. Le patriarcat implique une approche conservatrice des relations sociales, l’une d’entre elles avec la science et la technologie émergente, notamment les innovations typiques de la transition vers la quatrième révolution industrielle qui remettent en question les routines et les performances sociétales. Par conséquent, alors que les hommes résistent à l’impact du nouveau par l’incrédulité et la satire, les femmes abordent cette situation à partir de la pratique, des possibilités et de leur impact sur la vie quotidienne. Par conséquent, le féminisme est une possibilité de résoudre le fossé épistémique en surmontant la technophobie et la technophilie.

Le fossé épistémique permet de nouvelles expressions de l’empreinte écologique, car il ne permet pas de comprendre le glissement du mode de production vers de nouvelles sources d’énergie, au-delà du pétrole, du gaz et du charbon. Cela permet la continuité de la crise environnementale avec des variantes inconnues de l’impact écologique. Le fossé épistémique limite les possibilités de réponses anticapitalistes à un modèle de surproduction de biens qui se veut écologique en changeant les sources d’énergie, que les nouvelles entraînent ou non d’autres impacts environnementaux.

La racisation du fossé épistémique est la plus évidente dans le sud global, où les situations de vie matérielle précaire présentent  la transition entre la troisième et la quatrième révolution industrielle considérée comme un sujet lointain. A l’opposé, le blanc du nord impérialiste se présente comme le civilisé capable de comprendre les évolutions et l’horizon téléologique de l’accélération de l’innovation.

Toutes ces expressions du fossé épistémique facilitent le début de la réinitialisation globale en toute impunité. Mi-2020, Schwab et Millaret ont présenté les grandes lignes de ce processus dans le livre Covid-19, le grand redémarrage (2020) qui a servi de base à la réunion de Davos en 2021 qui a été convoquée avec la même devise. Le tournant dramatique de l’économie, du modèle politique et social, ainsi que de l’éducation a été présenté en toute impunité grâce au fossé épistémique qui empêche d’entrevoir l’impact profond sur la qualité de vie de la classe ouvrière et des pays à faible revenu, qui  entraînera cette initiative. Faire face à la réinitialisation globale implique de résoudre collectivement le fossé épistémique, quelque chose dans lequel la profession enseignante peut avoir un rôle particulier.

Le fossé épistémique est beaucoup plus dramatique que le fossé des connaissances. Le second se résout avec des processus d’apprentissage localisés dans des sources de connaissances, qu’elles soient institutionnelles ou populaires. Alors que le premier implique de déconstruire et de créer une nouvelle épistémologie de la société qui rende compte des implications de la transition de la troisième à la quatrième révolution industrielle, dans les communautés, l’éducation et les systèmes scolaires : tâche en suspens au niveau organisationnel et communautaire.

En somme, le fossé épistémique constitue le problème central de la résistance anticapitaliste dans l’éducation car il empêche la construction des changements d’époque, que nous construisons des réponses  galopant sur une réalité aussi dynamique que l’actuelle et le contexte de l’accélération inhabituelle  de l’innovation des progrès scientifiques et technologiques.

Pourquoi le fossé épistémique survient-il dans l’éducation?

Nous,  travailleurs de l’éducation, avons été formés avec l’archétype de la société capitaliste des première et deuxième révolutions industrielles. Le système scolaire connu est une mise en marche  de la structure du cycle Comenius, de la logique scolaire progressive, où tout fonctionne à la manière d’une machine composée de pièces, avec des difficultés qui augmentent selon les schémas d’âge et d’année scolaire. La pédagogie était fragmentée et chacune de ses parties autonome ; le curriculum est devenu le centre de l’éducation, la didactique un salon de propositions de dynamiques éducatives souvent en conflit avec le modèle d’évaluation ou de gestion scolaire.

Nous nous sommes habitués à penser que l’éducation du système éducatif était disciplinaire, car elle était exigée par le système mondial capitaliste dans les deux premières révolutions industrielles; Avant cela, nous nous opposions à la transdisciplinarité comme rupture avec les savoirs scellés. Mais ils ne nous ont pas appris à voir le processus de mutation du capitalisme à la suite de la troisième révolution industrielle ; Nous n’avons pas compris que l’alternative, la transdisciplinarité, devenait la troisième révolution industrielle comme exigence du mode de production.

Nous avons eu – et éprouvons encore – des difficultés à comprendre l’impact de l’accélération de l’innovation scientifique et technologique dans l’éducation. À un moment donné, la conquête obtenue après de nombreuses luttes concernant la démocratisation des connaissances scientifiques, technologiques et communautaires comme l’une des tâches centrales de l’école, du lycée et de l’université a été effacée de l’agenda transformateur. Démocratisation du savoir, qui pour le capital consistait à permettre aux diplômés de faire partie du mode de production selon les exigences de chaque moment historique, alors que pour le prolétariat cela signifiait la possibilité que leurs fils et filles puissent s’approprier la science et la technologie que la bourgeoisie prétendait enseigner au compte-gouttes. Cette perte de la centralité éducative de la démocratisation des savoirs de pointe dans les écoles a contribué au fossé épistémique.

Cela a créé des « certitudes » imperméables au contingent. Cette pétrification des routines et des protocoles s’est standardisée jusqu’à ce qu’il soit pratiquement impossible de voir une autre manière d’agir pédagogiquement. La taxonomie de Bloom, qui a émergé dans le contexte des rapports Coleman (USA, 1966) et Fauré (Unesco, 1972), est devenue non seulement le moyen le plus populaire mais aussi le moyen idéal de développer le curriculum en raison de ses possibilités d’évaluer les performances des enseignants et le développement des apprentissages chez les élèves. Le curriculum est devenu le cœur de l’éducation et à partir de là, il a commencé à remplacer l’exercice pédagogique. Les enseignants ont été transformés en administrateurs de programmes et leurs processus en tant que dynamiques d’une machine, avec des rythmes, des objectifs et une temporalité.

Cette manière unique (ou unifiée) de comprendre l’acte pédagogique a empêché le système éducatif et le travail d’enseignement de dialoguer dialectiquement avec l’innovation. L’éducation contextualisée est devenue un récit qui masquait la relation irremplaçable entre le local et le global dans les processus d’enseignement-apprentissage. Le regard localiste grandissant a conduit au fossé épistémique actuel, fonctionnel à la logique d’un secteur du capital intéressé par la destruction de l’école publique en présentiel.

Le fossé épistémique est utilisé par les secteurs du capitalisme liés aux grandes transnationales technologiques pour présenter les enseignants comme obsolètes et l’école en présentiel comme inefficace. Autrement dit, le nouveau modèle de privatisation de l’éducation (enseignement à domicile + virtualité + connexion + contenus numériques avec des coûts assumés par les familles) se révèle fonctionnel.

Comment le fossé épistémique est-il mis en évidence ?

Quand j’emmène mes plus jeunes à l’école je constate avec étonnement, à quel point les rituels éducatifs, la structure scolaire et la dynamique pédagogique sont trop similaires à ceux que j’ai vécu en tant qu’étudiant il y a 50 ans ou à ce que mes enfants les plus âgés ont participé il y a trente ans. Avant la pandémie, les établissements d’enseignement interdisaient l’utilisation des téléphones portables dans les salles de classe et avaient des difficultés à intégrer ces appareils dans les processus d’enseignement-apprentissage. Au milieu de la société de l’information, comme l’a montré la pandémie, de nombreuses écoles non seulement n’ont pas d’Internet, d’ordinateurs pour chaque élève ou de clouds éducatifs propres, mais elles ont également du mal à comprendre les possibilités du numérique et du virtuel. Beaucoup d’enseignants hésitent à aborder le numérique et le virtuel avec le seul argument qu’il s’agit d’initiatives générées par le capital transnational, sans que ces questions s’accompagnent de la génération de voies alternatives. Certes, le numérique et le virtuel construits par les transnationales technologiques encouragent la pensée reproductive, mais cela ne justifie pas que des alternatives au virtuel-numérique ne soient pas présentées.

 Cette résistance de l’éducation à construire des propositions pédagogiques alternatives dans le monde virtuel et numérique, avec ses dimensions programmatique, didactique, évaluative, de planification et de gestion, qui font la transition entre le présentiel + virtuel + numérique de manière harmonieuse met en évidence  le fossé épistémique.

Que pouvons-nous faire pour combler le fossé épistémique ?

Je n’aime pas les recettes et elles m’inquiètent qui les formulent. Ainsi, je ne peux que souligner les aspects à prendre en compte lors de la construction d’une feuille de route. Tout d’abord, ouvrir un débat qui commence par définir comment peut être l’école/l’université en présentiel dans un virage à 180 degrés. Deuxièmement, comment cette nouvelle institution éducative intègre virtualité + numérique (DV) aux processus d’enseignement-apprentissage, non pas comme un complément mais comme une partie constitutive de la dynamique pédagogique. Troisièmement, penser au programme, à la didactique, à l’évaluation, à la planification et à la gestion dans une perspective de présence libératrice et de programmation informatique émancipatrice. Quatrièmement, ouvrir un processus d’alphabétisation populaire en algorithmes et en programmation qui permet de construire des connaissances numériques et virtuelles à partir des écoles et des universités. Cinquièmement, comprendre la dynamique du développement inégal et combiné dans une orientation commune du système mondial capitaliste dans la quatrième révolution industrielle.

Cela passe par la reconstruction des mécanismes dialogiques de récupération des savoirs et de construction des savoirs, entre enseignants, élèves et familles.

Le fossé épistémique exprime des inégalités et des injustices sociales, qui génèrent l’exclusion et empêchent les conditions matérielles des possibilités de la résoudre. Le fossé épistémique est une condamnation du pouvoir mondial qui empêche la majorité de comprendre la réalité en changement incessant, dans des contextes d’impact profond de l’accélération croissante de l’innovation.

Les corporations et les syndicats  d’enseignants  à l’avant-garde pour combler le fossé épistémique

Les organisations d’enseignants représentent la force organisée la plus importante de la profession enseignante. Ils ont construit une tradition défensive qui est aujourd’hui particulièrement importante pour défendre la profession enseignante et l’école en présentiel. Les corporations d’enseignants et les syndicats sont des espaces privilégiés pour discuter et comprendre collectivement ce qui se passe et générer des alternatives de résistance.

Nous n’idéalisons pas les syndicats et les corporations ; Nous sommes conscients que beaucoup d’organisations d’enseignants sont patronales et bureaucratiques, pour ce que nous proposons, cela vise fondamentalement les organisations démocratiques et non cooptées.

L’année 2022 devrait être mise à profit pour ouvrir un large débat syndical à cet égard. Briser le fossé épistémique est la seule possibilité de sauver l’école publique en présentiel, face à la tempête technologique qui se profile et aux annonces de l’éclatement de la bulle scolaire.

Références bibliographiques

Bonilla-Molina, Luis (2021) La nueva fase del Apagón Pedagógico Global (APG). Ediciones Ove. Caracas. Disponible en https://luisbonillamolina.wordpress.com/2021/11/17/la-nueva-fase-del-apagon-pedagogico-global-2022-2030-y-alla/

Coleman (1966) Informe del Estado de la Educación / Igualdad de oportunidades en Educación. Disponible en  https://drive.google.com/file/d/0Byhtrdi1KzqBRmdDQlhfM3NLeDA/view?resourcekey=0-S8ipvya7I3gSmpTY5-oYMQ

Faure (1973). Aprender a ser: la educación del futuro. Ediciones unesco. Disponible en https://www.berrigasteiz.com/monografikoak/inklusibitatea/pubs/unesco_aprender%20a%20ser.pdf

Kuhn, Tomas (1970). Segundos pensamientos sobre paradigmas. Texto mimeografiado.

Prensky. Marc (2010) Nativos y migrantes digitales. Disponible en https://marcprensky.com/writing/Prensky-NATIVOS%20E%20INMIGRANTES%20DIGITALES%20(SEK).pdf

Schwab. K & Millaret (2020) Covid-19 el gran reinicio. Libro digital  Amazon book.

Wallerstein (1999). Sistema mundo – moderno. (4 tomos). Ediciones siglo XXI. México